Eveil, 2024, encre et acrylique sur tissu marouflé sur papier, 29 x 81 cm

« Il scrute ce qui ne se voit pas, il invente, comme un archéologue de l'au-delà, un espace et un temps supérieurs. » Michel Lagrange

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La quête des interstices : une exploration aux frontières de la perception

Le parcours artistique de Dominique Meunier est intrinsèquement lié à une expérience liminale qui a radicalement transformé sa perception du monde. Cette confrontation avec les frontières de la mort a ancré sa démarche dans une quête de sens profonde, érigeant l'interstice en moteur formel et substrat philosophique de son œuvre. Sur la toile, l'interstice ne se limite pas à un concept abstrait ; il devient le théâtre où se matérialisent les zones liminales de l'existence et de la perception, des lieux silencieux où se nouent les dialogues essentiels.


L'interstice comme espace de révélation

Le processus artistique de Meunier est une immersion dans ces espaces de transition, ces seuils ténus et ces tensions fécondes, à la recherche d'une vérité échappant aux certitudes. L'interstice est un lieu d'interrogation permanente, où le sens se révèle non pas dans les extrêmes définis, mais dans les nuances, les luttes et les espaces subtils qui se déploient "entre". Ces interstices ne sont pas de pures abstractions ; l'artiste les découvre et les ressent dans le monde qui l'entoure. Son regard se pose non sur l'objet isolé, mais sur les liens ténus qui l'unissent à son environnement, sur les entre-deux où l'harmonie se déploie. Le paysage, motif récurrent, n'est qu'un support à cette investigation des espaces liminaux, un territoire à la fois physique et métaphysique. Ce n'est donc pas le panorama qui prime, mais les zones de transition, les marges, les passages, où la perception vacille et où se manifeste le mystère du "entre". C'est dans ces zones que l'artiste concentre son regard, y décelant la confrontation essentielle entre l'ancrage terrestre et l'évanescence, le connu et l'inconnu, l'obscurité primordiale et l'émergence de la Lumière. L'interstice devient ainsi un lieu d'interrogation et de sens.


Matière et Lumière : une alchimie artistique

Chaque tableau de Dominique Meunier constitue une "peau du temps et de l'expérience" et un "rituel de dépouillement et de reformation". La manière dont la matière est travaillée, dont la lumière filtre ou lutte, n'est pas un simple choix esthétique, mais la visualisation du processus même de recherche de sens face aux dualités de l'existence (vie/mort, matériel/spirituel, visible/invisible).

Son approche technique est intrinsèquement liée à cette conceptualisation de l'interstice. L'usage précis de matériaux mixtes, intégrant textures, mortiers et médiums variés, n'est pas une simple recherche d'effets de surface, mais un moyen de construire picturalement l'interstice. Par des gestes de superposition, de creusement, de raclage, des couches s'amoncellent puis se révèlent, créant des profondeurs, des failles et des respirations au sein même de la substance. Ces accidents maîtrisés, ces reliefs intentionnels, sont des zones de friction où la forme vacille, laissant place à l'indéfini, au suggéré. C'est dans ces interstices matériels, rendus palpables, que le regard est invité à s'aventurer, à chercher ce qui se cache au-delà de la première impression.

La tension primordiale entre l'obscurité et la Lumière est l'autre pilier de cette exploration de l'interstice. La mémoire d'une Lumière qui n'était pas de ce monde continue de guider sa main, cherchant cet invisible lumineux qui hante et transforme. L'interstice, loin d'être un vide, est le lieu de leur danse éternelle. Les rais de lumière qui déchirent l'ombre, les zones d'ombre qui côtoient l'éclat vif, matérialisent ce dialogue constant entre le caché et le révélé. C'est une confrontation symbolique : celle des doutes qui côtoient les illuminations, de la finitude face à la transcendance. La Lumière, empreinte d'une qualité mystique, ne se révèle pleinement qu'en vibrant avec l'obscurité qui l'enserre, soulignant que la compréhension véritable advient souvent dans ou à travers ces moments de transition, ces espaces d'incertitude.


Des séries emblématiques : des "Franchissements" aux "Suites Célestes" menant à la "Terre Promise"

Conceptuellement, l'interstice incarne les seuils existentiels et spirituels. Il est l'écho du basculement personnel de l'artiste, de sa traversée d'expériences limites, et se mue en métaphore universelle de la résilience, de la transformation (l'alchimie des douleurs vécues transmuées en force vitale et créatrice), de la spiritualité (la peinture comme acte de prière, la Lumière comme manifestation divine), et de l'intériorité (le paysage comme miroir de l'âme). C'est une quête d'un sens qui dialogue avec l'intuition et l'âme, là où la seule raison s'avère impuissante.

Ses séries emblématiques, telles que "Franchissements : entre ce qui est et ce qui mue" et "Suites Célestes de l’Invisible et des Apparitions", offrent une double lecture du temps et de l'éternité, des rythmes de la nature et des aspirations spirituelles. Elles puisent dans les interstices du paysage - l'arbre comme pont, la montagne comme lieu d'élévation, la mer comme abysse de l'inconnu, le ciel comme immatériel. Ces éléments naturels sont des catalyseurs d'une alchimie où la résilience et la spiritualité se manifestent. Son travail propose une forme contemporaine de memento mori qui se mue en memento vivere implicite, où la conscience de la finitude devient une impulsion à embrasser pleinement la vie et à y chercher un sens profond et spirituel.

Les "Franchissements" préparent le terrain pour l'exploration spirituelle des "Suites Célestes". Ils méditent sur le surréel et le cours apparemment inéluctable des choses au travers d'une esthétique de l'indéterminé, déclinée en lumières irréelles et matière généreuse, qui conduit vers une "Terre Promise". L'imaginaire y révèle la conscience créatrice transmuée par la lumière en rêve, abolissant les frontières de l'invisible. Si les éléments naturels ancrent son œuvre dans le réel, les éléments abstraits (textures, craquelures, superpositions de couleurs) créent une ambiguïté visuelle stimulant l'imagination du spectateur, l'invitant à compléter les formes, explorer les significations cachées et projeter ses propres émotions.

En quête de profondeur dans la simplicité, l'artiste explore les dimensions de l'espace, du temps, du silence et de l'imaginaire aux confins du réel, illuminant le paysage jusqu'à sa dimension spirituelle. Ses paysages spirituels interpellent l'homme égaré dans l'éphémère, infusant sans dogmatisme ses "Suites Célestes" d'échos des évangiles et d'une méditation sur l'existence et le destin des âmes. L'épure chromatique de ses "Apparitions" spiritualise la dualité ombre-lumière, selon un principe immanent universel, révélant l'humble et la lumineuse rencontre de l'homme avec la nature et le divin. Les seuils franchis dans la première série ouvrent la voie à une ascension vers le spirituel dans la seconde. Les "Franchissements" représentent le chemin et les "Suites Célestes" la destination, l'état d'être atteint après le passage. Capturant la polarité de l’être, où le ténébreux et le lumineux coexistent, sa peinture intrigue par cet entre-deux : la frontière ténue entre la vie et la mort, les blessures et l’espoir d'une "Terre Promise" intérieure. La lumière, intrinsèquement liée à l'obscurité, constitue la conscience et notre connexion primordiale au monde et à nos origines, élargissant notre perception du cosmos et de notre propre finitude. Le paysage devient alors un lieu de transcendance et d'immanence.


Une œuvre contemplative et universelle

L'œuvre de Dominique Meunier propose une expérience contemplative qui invite le spectateur à appréhender la toile non comme un espace délimité, mais comme une ouverture sur des espaces interstitiels chargés de sens et d'une profonde humanité. C'est un art qui cherche la beauté là où on ne l'attend pas, qui explore les territoires inexplorés de la conscience, offrant un regard qui ose voir au-delà des apparences.

La signature visuelle de Dominique Meunier réside dans cette alchimie subtile entre une technique matiériste affirmée, une exploration paysagère symbolique illuminée par la Lumière, et une puissante charge émotionnelle et spirituelle. Loin des courants éphémères, son travail s'inscrit dans une démarche habitée, une soif de vérité qui transparaît, faisant de chaque toile une tentative de saisir l'écho de l'éternité dans le flux du temps. Présentés comme des « portails » ou des « apocalypses » (au sens de dévoilements) vers la transcendance et « l’invisible lumineux », ses tableaux invitent le spectateur à interpréter le mystère de l’être et du monde à travers ces seuils, l’engageant à trouver une étincelle de Lumière dans l’interstice de sa propre histoire. Cette œuvre, née de la fracture, est une exploration de la danse cosmique de l’existence et un témoignage de la puissance transformatrice de l’art. Elle propose une peinture-prière qui allie maîtrise formelle, profondeur conceptuelle et une quête universelle de sens, résonnant auprès d’un public sensible à une vision de l’art qui transcende les apparences pour toucher l’âme.


La résonance contemporaine de l'œuvre

En développant un concept aussi spécifique et profond que celui de l'interstice, Dominique Meunier forge un langage visuel unique qui lui confère une place distincte et reconnaissable dans le paysage artistique actuel.

L'exploration des interstices par Dominique Meunier résonne de manière particulièrement pertinente avec plusieurs mouvements artistiques contemporains, bien au-delà de sa singularité individuelle. Son œuvre s'inscrit dans des courants de pensée et des pratiques artistiques qui valorisent la complexité, l'ambiguïté et la subjectivité face à un monde en constante mutation. Chez Dominique Meunier, l'interstice n'est donc pas seulement un thème ; il est un dispositif qui active la participation du spectateur, même si celle-ci est d'ordre contemplatif et introspectif plutôt que physique et social. On y retrouve quatre échos principaux :

  1. L'écho avec le renouveau de l'art spirituel contemporain (autour de la quête de sens, de la lumière mystique et de l'invisible).
  2. L'écho avec la transformation du memento mori en memento vivere (autour de la résilience, de la transformation des douleurs et de l'embrassement de la vie).
  3. L'écho avec la réaffirmation de la matérialité de l'œuvre (autour des techniques matiéristes et des "accidents maîtrisés").
  4. L'écho avec l'art relationnel et l'esthétique de la participation (autour de l'idée que l'interstice invite à une interaction contemplative et à une recherche de sens active chez le spectateur).

1. L'art spirituel contemporain : la quête de sens et la Lumière intérieure

L'exploration de Dominique Meunier s'ancre dans un renouveau de l'art spirituel, affranchi des dogmes pour embrasser une quête de sens plus universelle. Son œuvre, initiée par une expérience aux frontières de la mort, transforme l'interstice en un lieu de révélation où le sens se murmure dans les nuances. La Lumière mystique, perçue comme "non de ce monde", est centrale : elle symbolise l'illumination et la conscience, se manifestant dans le dialogue entre l'ombre et l'éclat. Le paysage devient un miroir de l'âme, un support pour l'intériorité et la connexion à des forces métaphysiques et transcendantes. La "peinture-prière" que Dominique Meunier propose fait de l'acte créatif une méditation, invitant le spectateur à une expérience introspective et contemplative, à la recherche de son propre "invisible lumineux". C’est donc une forme d'élévation qui n'est pas didactique, mais intuitive et sensorielle, résonnant avec une audience en quête de profondeur au-delà du matérialisme.


2. Le memento vivere : de la finitude à la force vitale

L'œuvre de Dominique Meunier opère une profonde transformation du memento mori (souviens-toi que tu vas mourir) en memento vivere (souviens-toi de vivre). Son expérience traumatique ne mène pas à la résignation, mais à une quête de sens et à une force créatrice renouvelée. L'alchimie des douleurs vécues en force vitale est un thème central : l'interstice, lieu de tension, devient le théâtre où s'opère cette transmutation, symbolisée par les couches de matière superposées et raclées sur la toile. La Lumière n'est pas une échappatoire, mais un symbole de renaissance et d'espoir, d'autant plus éclatante qu'elle côtoie l'obscurité. Ses "Franchissements" et "Suites Célestes" invitent à une pleine conscience du présent et à l'embrassement de la vie, transformant la finitude en une impulsion à la résilience et à la recherche d'un sens profond.


3. La réaffirmation de la matérialité : construire le sens par la matière

Dans un monde de plus en plus virtuel, Dominique Meunier réaffirme avec force la matérialité de l'œuvre, faisant du matériau un acteur central. Ses techniques matiéristes ne sont pas de simples choix esthétiques, mais un moyen de "construire picturalement l'interstice". L'usage de mortiers, de textures et de superpositions crée des profondeurs et des failles, révélant la substance même de la toile. Le processus de création, marqué par des gestes de "superposition, de creusement, de raclage", est un témoignage du temps et de l'intention, une forme d'archéologie du sens. Les "accidents maîtrisés" et "reliefs intentionnels" permettent à la matière d'affirmer son agence, créant des "zones de friction" où la forme vacille, et invitent à une expérience haptique, engageant le spectateur au-delà de la simple vision. Ces interstices matériels sont des cicatrices, des passages, des points de tensions qui incarnent la complexité de l'existence. 


4. L'art relationnel et la participation : l'interaction contemplative

Bien que non directement participative physiquement, l'œuvre de Dominique Meunier résonne avec l'art relationnel et l'esthétique de la participation par sa capacité à engager activement le spectateur sur un plan contemplatif et introspectif. L'interstice est un "lieu silencieux où se jouent les dialogues essentiels", incitant le regardeur à une interaction intime avec l'œuvre. Cette absence de sens univoque pousse à une recherche active de signification, où le spectateur devient co-créateur de l'expérience. Les tableaux sont des "portails" qui invitent à une immersion mentale, transformant la contemplation en une exploration personnelle profonde. Cette participation, bien que non physique, est essentielle à la complétude de l'œuvre, qui se déploie dans cet "entre-deux" entre l'intention de l'artiste et la réception individuelle.