Eveil, 2024, encre et acrylique sur tissu marouflé sur papier, 29 x 81 cm
L'alchimie de l'invisible : l'interstice et le yūgen Ma démarche artistique est une exploration profonde de l'existence, visant à révéler la beauté et la résonance cachées dans le temps et l'impermanence. Chaque œuvre est une peau du temps et de l'expérience, une surface vibrante qui porte les empreintes du vécu, les marques du passé et la patine des émotions. Mes tableaux sont une invitation à participer, à travers un rituel de dépouillement et de reformation, à une quête de sens profonde face aux dualités de l’existence. Ils sont des fenêtres sur des paysages intérieurs, des méditations sur la résilience, et des invitations à percevoir la poésie des interstices, où la matérialité devient le véhicule d'une connexion profonde avec le mystère du monde. La Matière comme palimpseste et révélation de l'interstice Je travaille la matière avec une intention profonde. Le support, qu'il soit toile, papier, bois ou autre, n'est jamais un simple fond, mais la matière première incarnant cette peau du temps et de l’expérience. J'utilise l'acrylique, l'encre, l'huile, des pigments broyés naturels et des mortiers au sable. Par des techniques de superpositions, de grattages, d’éraflures ou transparences, je cherche à créer une texture riche et organique. Chaque couche, appliquée puis parfois effacée ou recouverte, agit comme un palimpseste visuel, où les traces antérieures ne disparaissent jamais complètement, mais se fondent pour enrichir le présent. Chaque craquelure, superposition, transparence ou opacité, contribue à l'idée d'une surface qui a vécu, portant les cicatrices et les rides du temps, invitant à une lecture non linéaire où passé et présent coexistent. C'est dans les interstices – ces espaces subtils entre les couches, les couleurs, les formes - que l'œuvre révèle sa pleine dimension jusqu'au spirituel. Ces failles, ces ouvertures, ces transparences inattendues sont les lieux où le regard peut s'enfoncer, où la lumière se glisse et où l'invisible se manifeste. Elles sont des passages vers une profondeur que la surface seule ne pourrait contenir. La matérialité, avec ses aspérités, devient le support de ces intervalles révélateurs. Le mystère de ces espaces non définis, chargés d'émotion, incarne le yūgen. Concrètement, dans mes paysages, ce ne sont pas les grands panoramas qui m'intéressent prioritairement, mais la lumière qui danse en lisière d'ombres, tremble en reflets éphémères et se révèle aux interstices sacrés où le divin peut se manifester. C'est l'entre-deux de l'aube, le souffle d'un vent qui fait vibrer l'air entre les feuilles, la persistance d'une couleur dans l'ombre portée. Ces lignes, veines, creux, servent de points d'ancrage visuels pour explorer la perméabilité entre les mondes, rendant accessible la plénitude du sensible. Par exemple, l'arbre, thématique centrale dans mon travail, est un symbole fondamental de l'interstice vertical. Ancré dans la terre par ses racines - évoquant le vécu, la matière et la souffrance - il s'élève vers le ciel par ses branches, figurant la transcendance, le spirituel et la lumière. Il incarne le franchissement et la résilience, chaque marque sur son écorce racontant le passage du temps et la capacité à transformer les épreuves en croissance. Mes œuvres explorent l'essence de l'arbre et son lien ancestral avec l'humanité, en oscillant entre une dimension tellurique, le réalisme et une perception plus aérienne et spirituelle. L'arbre est, à mes yeux, le protagoniste du temps ralenti, un témoin silencieux du cycle de vie - naissance, croissance, déclin, mort. Il incarne un symbole puissant de notre connexion primordiale à la nature. L'arbre est un pilier cosmique, un trait d'union vivant entre les dimensions qui ancre notre intériorité tout en nous invitant à l'élévation. Le rituel de dépouillement et de reformation vers le yūgen Mon processus créatif est un rituel de dépouillement et de reformation, un mouvement essentiel de purification et de renaissance. Le dépouillement est une phase de simplification, d'élimination du superflu, pour atteindre l'essence. Cela signifie souvent pour moi de déconstruire la réalité, de s'affranchir des apparences, pour révéler ce qui est fondamental. C'est une exploration de l'invisible, de l'intime, de la spiritualité qui se cache derrière le visible. Je commence par une accumulation de gestes intuitifs, puis une réduction progressive des formes et des couleurs jusqu'à l'essence. Il ne s'agit pas d'une absence, mais d'une quête de l'indicible, car c'est en ôtant le superflu que l'âme de l’œuvre peut pleinement respirer et que le chemin vers le yūgen s'ouvre. Le yūgen est cette beauté mystérieuse, profonde et suggestive qui ne se livre pas entièrement mais qui résonne puissamment. Je ne cherche pas à tout montrer, mais à suggérer, à laisser une part de mystère qui invite à la contemplation silencieuse et à l'imagination du spectateur. La matérialité de l'œuvre - ses textures granuleuses, ses profondeurs d'encre, ses jeux d'ombre et de lumière - est le véhicule privilégié de ce yūgen, créant une atmosphère qui incite à la méditation et à la connexion avec l'indicible. Après ce vide nécessaire, s'opère la reformation. Les fragments, les réminiscences et les énergies latentes sont réassemblés, réinterprétés, pour créer une nouvelle cohérence, une nouvelle harmonie. C'est un acte de résilience, transformant les marques du temps et les épreuves en une nouvelle forme de beauté et de sens, une tentative de relier l’homme au monde, le matériel au spirituel, le fini à l’infini. Cette reformation ne vise pas une complétude évidente, mais une reconstruction souvent empreinte de quiétude et de force qui préserve le mystère essentiel au yūgen. Au cœur de ma démarche, l'arbre émerge comme une métaphore fondamentale et récurrente. Dans sa force tranquille, il symbolise cette capacité à se renouveler et à puiser sa sagesse dans les cycles de la vie. Lumière, ombre et couleurs : le langage du mystère La lumière et l'ombre, souvent en lutte, symbolisent les cycles de l'existence. Elles sculptent la surface et révèlent les profondeurs. Ma palette est souvent contenue, fragmentée, créant des reliefs ou des profondeurs illusoires et des fissures et des ouvertures visuelles qui sont des passages vers des recoins inexplorés. Je privilégie certaines tonalités qui renforcent l'idée de la peau du temps et de l'expérience et de la quête de l'essentiel. J’utilise fréquemment des ocres, des terres de Sienne, des bruns, des gris et des noirs profonds. Ces couleurs évoquent la terre, la matière brute, le minéral, mais aussi le passage du temps. Elles rappellent les patines naturelles, l'usure, la sédimentation. Ces teintes sont la peau même de la terre, portant les marques des éléments et des âges. Le noir, en particulier, est une couleur souvent dominante, non pas vide, mais riche et lumineux par sa profondeur même, symbolisant le mystère, l’inconnu, le non-dit et la mémoire enfouie. Des touches lumineuses (blancs éclatants, reflets métalliques d’or, d’argent, fulgurances d’orange ou de rouge profond, des nuances de gris ou de bleu) peuvent éclore, incarnant la reformation qui émerge du dépouillement. La lumière semble lutter ou filtrer à travers ces couches sombres, symbolisant des moments de clarté qui percent l'obscurité concertée. L'immensité de ces noirs invite à une contemplation profonde, à une immersion où le yūgen se manifeste par la suggestion d'un infini, d'un cosmos intérieur. La lumière n'est pas peinte, elle semble vibrer à l'intérieur de la profondeur des noirs. Ces éclats agissent comme des interstices chromatiques, attirant le regard et offrant un contrepoint vital à la gravité des teintes dominantes. Ils sont comme des étincelles d'espoir, des souvenirs vifs, des moments d'illumination, où une vérité cachée peut émerger. Les interactions de ces couleurs portent une forte charge émotionnelle, évoquant la mélancolie, la sérénité, la puissance, et la spiritualité. Les jeux de lumière et d'ombre amplifient l'atmosphère mystérieuse du yūgen, car la lumière, diffuse et évanescente, ne révèle pas tout, elle suggère, incitant à l'intuition. C'est dans cette semi-révélation que réside le yūgen. Les contrastes délicats invitent à une contemplation prolongée, plongeant l'observateur dans un état méditatif où l'indicible est ressenti. Un écho du parcours personnel : l'ancrage du rituel La compréhension de mon travail est indissociable de mon histoire personnelle, notamment l'accident qui a bouleversé ma vie il y a 25 ans. Ce traumatisme fondateur a directement alimenté mon rituel de dépouillement et de reformation. L'accident a été une épreuve physique et psychologique intense, une dépouille forcée de l'existence telle que je la connaissais. J’ai dû me dépouiller de mes certitudes, de ma routine, et faire face à une vulnérabilité extrême. C'est une expérience de perte radicale, qui résonne avec la phase de dépouillement que je mets en œuvre dans mon travail. Cette confrontation à la fragilité de la vie m'a poussé à l'essentiel. L'art est devenu pour moi un moyen de se reconstruire, de se reformer. La pratique artistique n'est pas seulement une activité, c'est un acte vital, une thérapie, une quête personnelle de sens, de transformation et de résilience face aux épreuves de l'existence. Chaque tableau est une victoire sur le chaos, une manière de remettre de l'ordre et de la beauté là où il y a eu désordre et souffrance. C'est une réappropriation de mon corps et de mon esprit à travers la matière combattue. Mon Expérience de Mort Imminente (EMI) vécue lors de mon accident a opéré une véritable alchimie, renforçant ma dimension spirituelle et métaphysique, et transmutant ma perception du réel en une quête des mystères fondamentaux de l'existence. L'art est devenu un chemin de contemplation, une méditation sur la vie, la mort, l'impermanence et la transcendance. Le rituel de dépouillement et de reformation s'inscrit alors dans une vision plus large de l'existence, où les cycles de destruction et de création sont inhérents à la nature et à la condition humaine. Mon art n'est pas une fuite, mais une confrontation et une transformation des épreuves en une force créatrice. Le processus créatif devient alors une méditation, une manière de dialoguer avec l'impermanence et d'embrasser les cycles de dépouillement et de reformation, à l"image de la vie de l'arbre qui traverse les saisons, qui façonnent non seulement l'œuvre, mais aussi l'être. Ma démarche artistique s'ancre ainsi dans un memento mori (souviens-toi que tu mourras) qui ne conduit pas au désespoir, mais se transmute en un puissant et profond memento vivere (souviens-toi de vivre). Mes tableaux deviennent des "apocalypses" - non pas dans le sens de la destruction, mais comme des dévoilements nés de l’épreuve, portant en eux une empreinte lumineuse. Plus que de simples fenêtres sur le réel, ils se muent en portails ouvrant à la transcendance, à la rencontre de soi, à cet invisible lumineux qui sonde l'infini de la conscience. C'est dans cette alchimie des pigments et de l'âme que se forge l'essence même de la singularité de mon travail, invitant le spectateur à trouver sa propre résonance et une lumière guidant vers les paysages infinis de son âme. Deux séries emblématiques : des "Franchissements" aux "Suites Célestes" J'exprime ma profonde recherche de sens face aux dualités existentielles à travers deux séries emblématiques : les "Franchissements : entre ce qui est et ce qui mue" et les "Suites Célestes de l’Invisible et des Apparitions". Chaque tableau de ces séries est une peau du temps et de l'expérience et un rituel de dépouillement et de reformation, où mon travail de la matière et de la lumière visualise cette quête essentielle. Ces deux séries incarnent la centralité de l'interstice dans ma démarche. Elles offrent une lecture double du temps et de l'éternité, puisant dans les interstices du paysage - l'arbre comme pont, la montagne comme lieu d'élévation, la mer comme abysse de l'inconnu, le ciel comme immatériel - des catalyseurs où la résilience et la spiritualité se manifestent. Les "Franchissements" préparent le chemin pour l'exploration des "Suites Célestes", méditant sur le surréel via une esthétique de l'indéterminé. La matérialité joue un rôle fondamental dans cette visualisation. Une matière souvent généreuse et des jeux subtils de lumière créent des lumières irréelles qui guident vers une Terre Promise. L'épure chromatique spiritualise la dualité ombre-lumière, révélant la rencontre de l'homme avec la nature et le divin. Cette manipulation consciente de la matière me permet d'abolir les frontières du visible et de rendre accessible l'invisible. L'esthétique du yūgen imprègne les "Suites Célestes", où l'imaginaire se déploie. Plutôt que de dépeindre, j'évoque la beauté de l'insaisissable par une profondeur dans la simplicité et une ambiguïté visuelle qui stimule l'imagination du spectateur. Mes toiles interpellent l'individu égaré dans l'éphémère, infusant, sans dogmatisme, les "Suites Célestes" d'échos méditatifs, privilégiant la suggestion et la résonance émotionnelle et spirituelle. Philosophiquement, cette démarche artistique transforme implicitement le memento mori en memento vivere. Les "Franchissements" symbolisent le parcours, l'acceptation de la finitude et des blessures, tandis que les "Suites Célestes" représentent la destination ou l'état d'être atteint, une invitation à embrasser pleinement la vie malgré sa finitude. Ma peinture capture la polarité de l'être - l'entre-deux entre vie et mort, blessures et espoir - où la lumière, intrinsèquement liée à l'obscurité, élargit notre perception du cosmos et de notre finitude, faisant du paysage un lieu de transcendance et de résilience. |