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Ma collection « Initium » est une peinture-lumière dans la fluidité des bleus. Initium vient nous rapprocher de l’origine de la vie. Éloges du vivant au travers de l’eau, vitalité changeante, impermanente et prépondérante dans cette collection, source de la vie, notre contact humain au sein de la matrice, est l’élément qui pousse vers la réconciliation de tous. Je recherche l’énergie bienfaisante de l’eau car elle est le symbole de la renaissance spirituelle et de la force de vie pour mieux nous inviter à la méditation. Les eaux, qui peuvent prendre plusieurs visages (rivières, nuages, brumes, ...) représentent l’infini des possibles, le cours de l’existence, les fluctuations et la régénération des désirs et des sentiments, ainsi notre capacité à reconquérir notre vie. 

Il s’agit aussi pour moi de recevoir sa capacité à laver ce qui contamine mon quotidien. C’est une Renaissance, un chemin vers la limpidité où la peinture devient passeuse d’étoiles dans l’espace sans fin des bruissements de silence, dire l’absolu de la beauté, une voix de vivante lumière. Je cherche à perdre le regard dans cet infini où il est question de rythmes, les pouvoirs du bleu ! Ces œuvres sont une invitation à sentir et vivre les infimes et imperceptibles passages « entre terre et ciel », vers un infini d'invisible. La lumière nous guide ainsi sur le chemin azuré de la spiritualité

« En devenant miroir du ciel sans cesse changeant, les plans d’eau impliquent la liberté. Rien de plus éphémères que ces reflets » Erik Orsenna. Effet miroir dans le bleu de l’impermanence, tout ici est en résonance dans une harmonie « bleu-vert » (qinglü), l’autre est un autre soi, une invitation à lire en soi-même. C'est le chemin vers la limpidité, renaître, "deviens ce que tu es", dans la lumière qui instaure un dialogue entre couleurs et transparence, fluidité et mouvements, matière et opacité, et qui permet de raconter l'histoire de ce chemin en transfigurant le réel par le jeu des vibrations de lumière, des passages qui dynamisent les tensions spatiales d'une élévation spirituelle. Cependant le reflet appelle à la réflexion. La frontière entre image réelle et image réfléchie peut être floue. Elle peut alors laisser la pensée errer vers la rêverie ou la méditation, quand tout est calme et paisible.

Dans la clarté de la lune, se reflète à la fois le début et la fin de tout commencement, qui nous permet d'accéder à l'infini. Puis la substance des objets se dissout progressivement dans la lumière. Une confrontation matière-lumière est née, les formes sont en suspension dans la fluidité du bleu de l’impermanence.

8/ Sculpter, modeler, transformer, ressentez-vous un besoin extrême de mouvement, d’action ou, au contraire, confrontez-vous votre travail d’artiste plasticien aux vertus que le bleu vous suggère avec force ?  Pour être plus clair, vivez-vous une tempête intérieure à chaque nouvelle création ?

Peindre calme l’agitation de mon âme. Comme le disait Gao Xingjian pour l’écriture « je n’écris pas pour laisser quelque chose derrière moi, mais pour soulager ma souffrance. Si l’homme a besoin du langage, ce n’est pas seulement pour communiquer du sens, c’est en même temps pour écouter et reconnaître son existence ». Je peins pour soulager ma souffrance.

Lorsque vous regardez la petite vidéo d’accueil sur mon site, on peut voir que je travaille « alla-prima », dans le frais, mon geste qui est tangible, rapide, je dirai presque physique, libère la mémoire, qui peut être une mémoire traumatique. On voit que ma peinture s’incorpore. L’émotion exprimée devient ainsi une incarnation du sens tactile au travers d’un mélange de hasard convoquant l’indéterminé, et de maîtrise gestuelle, mes tableaux gardent la trace du passage de l’outil ou de ma main. Un jeu de construction/ déconstruction et d’épaisseur commence.  Je sculpte, je cherche à magnifier la matière, suggérant les formes en ne gardant que l’essentiel. Je ne fige pas, je m'offre l'opportunité de voir naître la deuxième impression, celle qui, du tourment à l'apaisement, permet d'y voir plus clair. J’éduque mes doutes, j'ajuste la matière, retire au couteau, à la truelle ou à la main. J’explore toutes les matières, toutes les formes de vie, en recomposant les fragments, les accidents afin d’établir des correspondances entre douleur et énergie, je cherche à analyser sans cesse les lignes, veines, creux, interstices, les rythmes telluriques et mouvements magmatiques pour ouvrir des passages vers la plénitude du sensible.

Puis vient le mouvement de la peinture qui a le pouvoir de ralentir. Parfois le temps s’immobilise, un silence intérieur prend le relais. Le temps n’est plus une succession infinie et linéaire. C’est un temps suspendu. On s’abstrait du monde un instant. Erdling Kagge, dans Quelques grammes de silence, nous intime alors sa pensée « s’abstraire du monde ne veut pas dire tourner le dos à ce qui nous entoure, au contraire : c’est voir le monde avec d’avantage d’acuité, garder le cap et apprécier la vie ». Le voyage est intérieur et consiste en une rencontre avec quelque chose de plus élevé, de plus essentiel que sa destination. Il me faut puiser dans la musique silencieuse. Être une âme de silence. Cesser de faire du bruit avec soi-même. La lumière libère l’âme. En peinture on commence toujours, on n’est jamais lié par un passé, on est dans un présent éternel et on peut toujours commencer.

Mon cheminement intérieur révèle ma singularité picturale, montrant un certain état d’esprit, ne plus avoir peur car il s’agit moins de contempler le paysage que de s’ancrer en lui et de l’habiter. C’est par le lâcher-prise qui est un acte de confiance en soi absolue, libre de tout manque, de tout contrôle, de toute peur que le paysage apparaît. Car il est question, non pas de le représenter en en reproduisant l’aspect réel mais d’en faire surgir le souffle vital, dans son jeu d’affinités et de corrélations. Le travail du peintre est de voir au-delà de la diversité de ses sensations l’unité profonde de l’univers. Sa peinture a le pouvoir de nous faire prendre conscience de l'unité cosmique du monde. Le spirituel demeure la réalité profonde et cachée. La peinture a le pouvoir de symboliser, c'est-à-dire d'unifier, en reliant les diverses expériences sensibles entre elles dans un mouvement d'élévation spirituelle. C’est l’idée qui est à l’origine de l’univers.

 

9/ Pour quelles raisons le travail de la matière vous apporte-t ’il la sérénité ?

J’explore la matière par le jeu des textures. C’est dans les épaisseurs et les complexités de la matière picturale, parfois souligné par un simple plissement, une craquelure, une ligne, qu’une quête cathartique débute pour moi et en même temps cette matière mêlée offre tout le registre de formes que nous retrouvons dans la nature vivante. Cette matière me rend serein, vivant, comme la nature.  Dans ce travail architectonique, s’y propage ma fragile traversée entre strates géologiques et telluriques vers la présence du Mystère de la vie, ma renaissance dans les premiers pas suivant mon accident puis mon accomplissement d’être, la voie de l’acceptation de l’impermanence.  En affirmant la valeur spirituelle de la forme et de la matière, ressentir la matière, c'est exister, la matière-douleur devient alors la matière-sérénité.

C’est comme un langage sensoriel et émotionnel, de plus en plus suggestif et qui me permet une intériorisation profonde. Comme la conscience, ma peinture se compose donc d'une stratification matiériste plus ou moins massive, sorte de personnification minérale mettant de l’ordre dans le chaos, ma quête cathartique, et montrant ce qu'on croit être constant, mais infiltrée de différents médiums et de lumière questionnant l'impermanence, les mondes de mouvements et de changements, les seuils et les passages que traduit l’interdépendance des phénomènes et qui font référence aux interactions entre l'homme et son environnement.

J'essaie par ma touche matiériste, une manière multicouche, d'impliquer le spectateur de façon physique à son environnement, mes créations se laissant toucher, mais aussi de faire appel à sa conscience car pour moi les strates géologiques de ma peinture texturée, les lignes, les courbes, le vide et le plein, sont une métaphore de la mémoire humaine ou de la mémoire collective.

Les rochers ont une grande importance à mes yeux car ils permettent une communion directe avec les forces de vie et libèrent les tensions internes. Capteur d'énergie mais aussi image du passage du yin et du yang, le principe d’alternance qui est le principe d’harmonie de l’impermanence, les mouvements de ma peinture texturée sont les marqueurs du temps qui passe et révèlent toutes les aspérités de l’âme humaine qui s'envole dans le surgissement de la forme.

Le minéral peut être le seul sujet et ainsi basculer dans l’abstraction. Il nourrit ma sérénité.  Passionné depuis toujours par les pierres et les rochers, à l’instar de anciens lettrés chinois, je représente ces sujets à la fois universels et dramatiques, considérés comme la quintessence du Ciel et de la Terre qui les avaient façonnés à l’égal des êtres-vivants en les dotant de Qi, l’énergie vitale, souffle de l’univers. Petit déjà, je ramassais des minéraux qui sont pour moi des petits symboles d’éternité.

Mes montagnes sont celles de l’Âme.  Je ne cherche pas à les représenter pour elles-mêmes mais bien à identifier à la fois une émotion issue de la densité des textures, des courbes allant à l'essentiel œuvrant à une esthétique de l’écoulement des choses au travers du dépouillement, du renoncement et de la simplicité. Par leur haute valeur symbolique, elles nourrissent chez moi mon besoin de solidité, de stabilité et de fiabilité. Sujets de méditation, elles symbolisent également la résistance, le cheminement et la persévérance vers la paix intérieure mais aussi le détachement du monde, le commencement et la fin des temps.

Dans un ciel embrasé, on se cogne aux éléments d'une roche immuable, brute, silencieuse et indomptable qui nous guide vers un retour aux origines.

Vaporeux et minéral, une quiétude nous guide vers l'élévation par la force tranquille de la montagne, comme inondée par la lumière jusqu'à l'iridescence. C'est un chemin de Lumière qui, jusque dans l’éphémère d’un coucher de soleil, qui fait qu’il est parce que dans l’acte même de l’Être il n’est plus, nous fait pénétrer au plus proche d'un mystère sur des territoires "divins". Par notre pratique de la méditation, nous pouvons embrasser tous les aspects de la vie que les opposer. Un dicton chinois dit : « d’abord il y a une montagne, ensuite il n’y a plus de montagne, ensuite il y a une montagne ». Une invitation à la méditation de pleine conscience, à la sérénité, au silence pour rompre avec le vacarme ambiant et pour pouvoir aborder toutes ces images post-traumatiques, ces bruits mémorisés, une invitation à saisir une beauté fugace, l’instant, « ici et maintenant », une invitation à retrouver le sens du constant (le Tao par exemple) et le sens de l’impermanence, de la vacuité. Les montagnes sont un univers cyclique éternel. Elles représentent l’indicible, le vide qui est plein de potentiel car leur monde n’existe que parce qu’il est interdépendant ; elles ne peuvent pas exister par elle-même ; tout dépend toujours d’autre chose. Ce qui gouverne mes créations ici, c'est le rythme tellurique orchestré par les stries, les creux, les reliefs, les veines des calcaires et des granits, les défilés vertigineux et sauvages, les grottes, avens, lapiaz, les vallées sèches, les sables, la terre des labours, ainsi que tous les mouvements de la terre venus du fond des âges, sources du mental profond. Les montagnes concentrent tous les chemins et les passages vers la plénitude du sensible, hors du temps. Elles représentent la matière, que je cherche à magnifier, à spiritualiser. Matière et conscience coexistent. Ce sont deux états du réel et la conscience utilise les supports matériels pour se manifester au travers des portes de passages qu’ouvrent la Lumière-Silence par les souffles cosmiques. Ces passages dévoilent les « flots de conscience » qui sont indépendants de la matière et déjà présents dès la création du monde.

Les sujets représentés sont parfois simplement suggérés, « accidents » ou « fragments », toujours en corrélation symbolique, et baignant dans une lumière de plus en plus prépondérante, la forme exprime l’esprit en continuant à matérialiser des mémoires et des ressentis, ces passages vers un équilibre entre le vide et le plein, le yang et le yin, une harmonie des silences de la lumière, pour donner une dynamique qui est celle de l’impermanence. Les traces du temps s’inscrivent dans la matière et suggèrent l’éphémère de l’instant présent.

 

10/ Dominique, l’une de vos phrases m’a fortement interpellé parce qu’elle va ramener de nombreux auteurs à l’une des impressions les plus frappantes du travail d’écriture, je vous cite : « Cette relation recrée de l’ordre là où il y a du chaos et elle m’offre ce sentiment intime des choses…» Votre peinture est-elle, en plus d’une quête spirituelle, un fantastique véhicule pour philosopher sur votre vie, vos relations aux évènements qui sont venus la bouleverser et votre rapport aux autres ?

Je comprends m’être fragmenté lors de mon accident et lors de mon expérience des mondes éthérés, une expression du chaos. Ces fragments attendent dans ma mémoire traumatique et m’appellent pour réincarner ce qui je suis vraiment. La peinture devient thérapeutique, c’est une catharsis. Elle régule le chaos en m’inscrivant dans une forme de réalité pour me réapprendre à voir cette réalité afin d’y retrouver les sources de la vie. Le silence de ma peinture est un refuge. Mais ce refuge est éphémère ; on ne se remet pas de cette expérience, le corps a aussi sa mémoire et les douleurs quotidiennes savent me remémorer tous les jours le chaos vécu.

La peinture me permettait de lire en moi-même et de vivre l’aventure d’apprendre à se connaître, de comprendre ma part la plus personnelle, on va dire la part inaliénable, inaltérée, votre vraie singularité - pour renaitre à vous-même. Dès lors tout change, notamment votre rapport à vous-même et votre rapport au monde. De nouvelles énergies et de potentialités apparaissent ouvrant des possibilités insoupçonnées pour induire votre style, votre propre façon de peindre et ce pourquoi vous peignez.

Notre vie se confond avec notre réalité interne et c’est cette réalité-là qui doit nous apparaitre comme sacrée. Lorsque j’ai compris que nous possédions en nous toute l’histoire de l’humanité, j’ai pris le chemin spirituel qui se confond totalement avec ma peinture aujourd’hui.

Comme le disait Wassily KANDINSKY « La peinture est un art, et l’art dans son ensemble n’est pas une création sans but qui s’écoule dans la vie. C’est une puissance dont le but doit être de développer et d’améliorer l’âme humaine. L’artiste doit être aveugle vis-à-vis de la forme reconnue, sourd aux enseignements et aux désirs de son temps. Son œil doit être dirigé vers sa vie intérieure et son oreille tendue vers la voix de la nécessité intérieure ». Et effectivement pour moi, l’art donne à penser en s'éprouvant sensiblement, un long chemin de recherche de sens, une itinérance de l'esprit et de l'âme, une inexorable méditation sur le temps. Pour vivre dans une croissante intimité avec vous-même.

Peindre est un acte spirituel. Je lie esthétique et spiritualité. La peinture incarne le vivant, peindre c’est être vivant. C’est peindre la Lumière-vivante.

 

11/ Après ces mois de confinement, avez-vous des actualités ou des rendez-vous à communiquer à nos lectrices et lecteurs ?

Je termine mon projet de monographie dont la trame vise à relier des textes d’auteurs et d’auteures à certains de mes tableaux qui les ont inspirés. Il y aura de nombreux textes inédits et des tableaux jamais publiés et inspirés de poèmes offerts. J’ai eu la chance d’avoir la préface de Hanen Marouani qui m’a offert également quelques magnifiques textes.